Comment la ville de Marseille a redressé ses finances

Anna Rousseau, Challenges

6 – 8 minutes


Il
y a quelques années, la ville fonçait tout droit vers une mise sous
tutelle par l’Etat. La Chambre régionale des comptes avait prévenu dès
2017, puis alerté de nouveau en 2019
: la dette monumentale, écrasante, de près de 2 milliards d’euros, cela
signifiait des écoles qui resteraient délabrées et des piscines jamais
construites, des stades hors d’âge et une ville qui continuerait à
s’enfoncer. Or, aujourd’hui, Marseille est – du moins provisoirement –
sortie de l’ornière. De 2 milliards sous Jean-Claude Gaudin (LR), l’ancien maire (1995-2020), la dette est tombée à un peu moins de 1,4 milliard en 2023.

Lire aussiMarseille : le projet Minopolis relancé

Quand la nouvelle équipe est arrivée, elle a lancé un audit financier. En recevant ses conclusions, le maire, Benoît Payan
(ex-PS) ne minimise pas son inquiétude : « La capacité d’investissement
de la ville est réduite à néant et le seul remboursement des intérêts de
la dette nous étrangle. » Pour aussitôt ajouter : « On ne va pas baisser
les bras en nous disant que ces gens-là ne nous ont laissé que des
ruines et des cendres dans les caisses. »

Benoît Payan, maire de Marseille.

Le soutien d’Emmanuel Macron

Alors
il se lance dans la bagarre. En mars 2021, il va dîner à l’Elysée et,
autour d’une blanquette, expose sans fard la situation au chef de
l’Etat, qui accepte le principe d’une aide exceptionnelle.

Celle-ci
se concrétise quelques mois plus tard. Plusieurs milliards prennent la
direction de Marseille, sous forme de subventions ou de garanties
d’emprunts. Les fonds sont fléchés vers la rénovation de centaines
d’écoles, une rénovation urbaine en profondeur, le développement des transports en commun et le désenclavement des quartiers nord.

Depuis
le 23 octobre, les deux lignes du métro marseillais sont à l'arrêt le
soir à partir de 21h30, du lundi au jeudi, pour une durée prévisible de
deux ans. L'objectif est de tester les futures rames automatisées.

Des vigies étatiques

Mais
l’Etat, méfiant, tient la bride courte, plaçant des vigies partout : un
préfet chargé du plan Marseille en Grand est spécialement nommé. Sabrina Agresti-Roubache,
députée Renaissance locale, est désignée secrétaire d’Etat à la Ville
avec la direction de Marseille en Grand dans sa besace. Des sociétés ad
hoc sont créées pour gérer les fonds versés.

« Sans l’aide de
l’Etat, on n’aurait pas pu faire plus de la moitié de ce qu’on va faire,
et sur un temps bien plus long », reconnaît Joël Canicave. C’est
effectivement l’Etat qui avance les frais, « la ville ne prendra le
relais que très progressivement, en remboursant 500 000 euros par an,
puis un million, puis deux millions, jusqu’à 30 millions au pic des
remboursements ».

Lire aussiMacron à Marseille : le grand flou du plan transports malgré les millions

Le recours aux banques… et aux impôts

Pendant
que Benoît Payan négocie avec Emmanuel Macron, son adjoint Joël
Canicave, lui, affronte les banques. Des heures durant, il reprend les
emprunts un par un et renégocie soit les taux, soit les échéanciers,
soit les deux. « Nous avions des emprunts à 5 % d’intérêt : nous avons
tout ramené à 1,5 %. Nous avons remboursé des emprunts par anticipation
parce qu’ils étaient indexés, notamment sur le taux du livret A, et nous
en avons contracté de nouveaux quand les taux étaient encore très bas. »

La stratégie s’avère payante et en juin 2023, l’agence Fitch décide de remonter la note de Marseille
de A + à AA-, « pas uniquement parce que nous nous sommes désendettés,
mais aussi parce que nous avons une volonté et une stratégie », poursuit
Joël Canicave.

La municipalité, malgré ses promesses de campagne, a également eu recours à l’impôt, une hausse substantielle de la taxe foncière
qui a rapporté 50 millions d’euros cette année. Mais l’élu aux finances
le promet, c’est la dernière fois : « On n’augmentera plus la part
communale de la taxe foncière jusqu’à la fin du mandat. » Il faut dire
qu’en 2022, les 175 000 propriétaires avaient dû faire face à une double
augmentation : 3,4 % de taxe cadastrale, à laquelle est venue s’ajouter
14 % de taxe communale, soit un bond de 17,4 %.

Des efforts payants

De
toute façon, pour le moment, les efforts ont payé : l’épargne nette est
redevenue positive pour la troisième année consécutive, et la capacité
de désendettement de la ville, qui s’élevait à près de 11 ans en 2020,
est retombée à 6 ans.

Même l’opposition s’en trouve satisfaite.
« Dans une ville pauvre et peu dynamique, se fixer de désendetter n’est
pas pertinent : stabiliser la dette et investir, c’est bien », reconnaît
Pierre Robin, président de l’opposition de la commission des Finances,
qui regrette tout de même « l’absence de plan pluriannuel
d’investissement ». Lionel Royer-Perreaut, député Renaissance et maire
d’arrondissement, se réjouit lui aussi de « la voie responsable et
prometteuse » des finances de la ville, tout en prévenant que « Marseille
reste une ligne de crête ».

La ville a encore de la ressource, avec
des gisements potentiels de recettes. Certaines sont conjoncturelles,
voire contre cyclique : ici, l’immobilier continue de grimper,
et les droits de mutation, première ressource fiscale indirecte de la
collectivité, devraient rapporter 50 millions d’euros en 2023 et en 2024
selon le rapport d’orientation budgétaire publié fin octobre. D’autres
recettes sont plus structurelles, mais aussi plus lentes à mettre en
place. Début 2023, un service de chasseurs de subventions a été créé au
sein de la mairie, la Mission des financements partenariaux. Objectif :
accroître les financements de Bruxelles, de la région ou de la
métropole.

Lire aussiLes Pagnol, discrets mais puissants propriétaires des collines de Marseille

La région peu sollicitée

Enfin
! Car les services de la ville sont connus pour être exceptionnellement
peu performants en la matière. Cela fait des années que Renaud Muselier
(ex-LR, Renaissance), le président de la Région, pourtant opposant
politique, s’en plaint : « Sous Gaudin, quand je versais un euro à
Marseille, j’en versais 4 à Toulon et 6 à Nice. Aujourd’hui, c’est pire :
pour un euro à Marseille, c’est 6 à Toulon et 9 à Nice ! »

Pour le
président de la région, les dossiers restent, à ce jour, mal ficelés et
rarement éligibles. Comme dirait Jean-Pierre Raffarin, « la route est
droite, mais la pente est forte ».

Le collectif du 5 novembre vous présente notre nouvelle campagne d’affichage

Le collectif du 5 novembre vous présente notre nouvelle campagne d'affichage et invite l'ensemble des marseillais.es à une discussion ouverte, entre habitant.es, pour dresser un bilan de l'action pour le logement digne pour tou.tes, cinq ans après. 
RDV ce dimanche 5 novembre à 10h, place du 5 novembre (après les hommages à 9h05 et un petit déjeuner partagé où chacun.e peut apporter quelque chose)
Merci de partager ce post !